Le premier week-end après le Premier Mai est depuis de nombreuses années l’occasion pour l’extrême droite radicale de rassembler toutes celles et tous ceux qui trouvent la manifestation du Front national une semaine avant un peu trop molle : on en avait annoncé le programme la semaine dernière , en voici le compte rendu, qui montre d’ailleurs que, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, la frontière n’est pas toujours bien étanche entre la formation de Marine Le Pen et les nostalgiques de Vichy…
Samedi 9 mai au soir, le GUD version Logan avait décidé, sur la lancée du meeting de décembre 2014, d’organiser un événement unitaire, à savoir la commémoration en hommage à un militant nationaliste de l’Œuvre française, Sébastien Deyzieu, mort en 1994, hommage qui, avant sa reprise en main par Serge « Batskin » Ayoub il y a quelques années, avait peu à peu disparu. Autant le dire tout de suite, si ce ne fut pas un échec complet, on ne peut pas parler pour autant de réussite. Vers 20h30, à peine plus de 150 personnes se rassemblaient derrière une banderole (la moyenne basse pour cet évènement) : visiblement, un certains nombre de « kamarades »avaient préféré aller au concert d’un vieux groupe de rock des années 1980 à l’Olympia…
On y a vu plein de visages connus : Pierre-Nicolas Nups de Lorraine nationaliste ; Pierre-Marie Bonneau, l’avocat des militants de l’OF ; Sébastien de Boëldieu, représentant de Casapound ; Steven Bissuel, responsable du GUD Lyon… Mais aussi des moins connues, comme Clothilde Marie-Jeanne, qui navigue entre le Renouveau français et le GUD, et qui est omniprésente depuis trois ans sur les initiatives nationalistes sur Paris : on l’avait vu invectiver les Femen lors de leur agit-prop’ contre la manif du 12 mai 2013, et au premier rang avec le Printemps français lors des incidents qui ont émaillé les Manifs pour Tous. C’est également une des habitués du Crabe-tambour.
On pouvait dénombrer une grosse quarantaine de militants du GUD, d’anciens JNR et Troisième Voie ainsi que quelques dizaines militants de l’Œuvre française (OF), facilement reconnaissables puisqu’ils étaient les seuls à être en costard (le look naziskin étant davantage prisé des manifestants) et qui arrivaient du Forum de l’Europe qui s’était tenu dans l’après-midi : une centaine de militants nationalistes s’étaient en effet rassemblés l’après-midi au Novotel du Pont de Sèvres, pour un meeting avec des invités étrangers dont certains resteront sur Paris pour l’hommage à Jeanne d’Arc le lendemain matin, notamment le danois Daniel Carsen, Irene Dimopoulou-Pappa, épouse d’un député grec emprisonné d’Aube Dorée, et Gonzalo Martin de Democracia Nacional, (un habitué des rencontres de l’OF puisque déjà présent il y a deux au Forum de la Nation à Lyon). Et n’oublions pas bien sûr l’Espagnol Alfredo Torresano, de la Phalange, que l’on peut voir fréquemment en France.
Le cortège était ouvert par Epona, chanteuse du laborieux groupe de RIF Northmen Impakt, dont certains membres, comme le guitariste Bruno Hirout, sont des militants du Parti de la France. Tout naturellement, nous l’avons recroisé le lendemain à la manif nationaliste l’Œuvre française, dans les rangs de Caryatides ; mais Epona était sur tous les fronts en ce mois de mai, puisque nous l’avions également aperçu le Premier mai 2015 dans le cortège FNJ à Paris (avec un petit passage sur la tribune !)… Enfin, pour finir avec le 9 mai, signalons que le dispositif policier était assez conséquent, avec bon nombre de civils qui cherchaient les antifas dans les rues voisines.
Le lendemain matin, dimanche 10 mai, c’était au tour de ce qui reste de l’Œuvre française depuis sa dissoultion de se donner rendez-vous, non pas pour honorer la mémoire de leur militant mort il y a plus de 20 ans, mais celle de Jeanne d’Arc, disparue il y a presque 600 ans…Loin Deyzieu, loin du cœur !
À 10h devant la Madeleine, se sont ainsi retrouvés environ 70 amis de Pierre Sidos, certains sous la bannière des pseudopodes de l’OF, comme les deux structures contrôlées par Laura Lussaud : le CLAN (un comitéde soutien aux nationalistes inquiétés par la justice) et les Caryatides, organisation féminine du mouvement, dont plusieurs membres, lors de la manif, ont cruellement souffert dans leurs escarpins, moins confortables que les chaussures de saut de leurs camarades masculins.
À 11h, tout ce petit monde s’est mis en marche, direction Jeanne d’Arc, dans une sorte de parodie de parade militaire, en rangs bien alignés (et aérés pour masquer leur faiblesse numérique), drapeaux à croix celtique au vent, derrière la banderole « À Jeanne d’Arc, les nationalistes reconnaissants ». Pas de tracts, mais les sempiternels slogans « Que vive France ! », « Aujourd’hui l’anarchie, demain l’ordre nouveau », l’impayable « les Françaises aux Français », lourd de frustration contenue, et bien sûr le chant des Lansquenets (« Et nos marches guerrières / Feront frémir la terre… », quels poètes !).
Pour accompagner l’OF, étaient présents comme l’année dernière une petite dizaine de militants de la Dissidence française de Vincent Vauclin, une cinquantaine de personnes emmenées par le Parti de la France (dirigé par Carl Lang, ancien n°2 du FN) parmi lesquelles Thomas Joly (secrétaire général) et Dominique Morel (qui vient debalancer des documents internes à la presse sur les magouilles du FN autour du kit de campagne), une poignée de skins d’Edelweiss Alsace, et les six hurluberlus, avec tenue camouflage, béret sur la tête et air bovin, du « réseau » France nationaliste de Thierry Maillard (visible et risible dans le documentaire de Canal+ « Violences d’extrême droite le retour »).
Pendant ce temps, mais partant de la place de l’Opéra, une centaine de royalistes de l’Action française défilaient eux aussi en direction de la statue de Jeanne d’Arc, derrière une banderole « Tout ce qui est national est nôtres », mais suffisamment vite pour arriver les premiers, faire leur petit discours et libérer la place à l’Œuvre, qui a dû patienter un peu avant de prendre possession de l’endroit.
Notons au passage que l’un des cadres de l’AF, Elie Hatem, candidat FN aux municipales de 2014 sur Paris, est resté sur place faire un brin de causette à ses copains pétainistes. Se sont ensuite succédés àla tribune : Florian Rouannet, Vincent Vauclin, Alexandre Gabriac et Yvan Bendetti, ce dernier faisant, de façon inhabituelle, quelques allusions àla situation de Jean-Marie Le Pen pour lui marquer sa sympathie. À se demander si on ne verra pas, l’an prochain, « le Vieux »avec sa toute nouvelle formation annoncée le 11 mai renouer avec l’hommage à Jeanne d’Arc que le FN rendait aux côtés de l’extrême droite radicale, avant de décider en 1988 de défiler le Premier mai au matin. D’ailleurs, certaines têtes, bien en vue ce 10 mai, comme Epona et Elie Hatem évoqués plus haut, étaient également bien visibles dans le cortège du Front national la semaine dernière, preuve s’il en était besoin que Marine Le Pen est bien plus tolérante à l’égard des nostalgiques de Vichy qu’elle le prétend. Mais l’ombre du FN planait également l’après-midi sur le cortège de Civitas…
Car l’après-midi, place Saint-Augustin, après quelques animations « médiévales » (on a eu un peu pitié des adeptes du cosplay natio, les Chevaliers teutoniques, avec leur casserole sur la tête, en plein cagnard, qui se frappaient mollement avec leurs épées), c’était au tour des nationaux-catholiques, à l’appel de Civitas, de battre le pavé. Le cortège était cette fois deux fois plus important, environ 400 personnes, toujours pour Jeanne d’Arc.
Avant la manifestation, le public a eu droit à différentes prises de parole. D’abord les habitués : Pierre Sidos (qui nous a raconté l’histoire de sa famille), le sémillant Thibaut de Chassey pour le Renouveau français, et Roger Holeindre, du Cercle National des Combattants qui était surtout venu pour faire la promo de son bouquin Ça suffit ! ( son discours était bien rôdé, puisque c’était le même au mot près que celui qu’il avait fait sur TV Libertés…). Mais se sont également exprimées Stéphanie Bignon, de la toute nouvelle association Terre et Famille (qui propose de « restaurer l’esprit médiéval de la France chrétienne », tout un programme) et la « spécialiste » autoproclamée de la Révolution française Marion Sigaut, qui était pour la première fois de la partie, émue aux larmes d’avoir enfin un public pour l’écouter…En revanche, plus aucune trace de Farida Belghoul : la tolérance religieuse et raciale dont avait fait preuve l’an dernier Civitas n’ayant pas étédu goût de tout le monde, l’expérience n’a pas étérenouvelée.
Mais ce n’est pas tout : en gest-star, Jany Le Pen est elle aussi venue dire quelques mots. Accompagnée de Jean-Felix Quinones, membre du service d’ordre qu’on avait vu àla manif du FN le Premier Mai (encore !) assurer la sécurité de Marion Maréchal Le Pen, Jany a elle aussi fait allusion àla situation de son mari, plus contente d’être là qu’à« la triste fête »(pour reprendre ses propres mots) de la semaine passée… À ses côtés, Marie D’Herbais, ex-femme de Frédéric Chatillon et jusqu’à tout récemment au Front national, est venue défendre la question des Chrétiens d’Orient, récupérée par l’extrême droite dans sa lutte pour la rechristianisation du monde.
Enfin, derrière les Chevaliers teutoniques, tout ce petit monde est parti en cortège, regroupant au plus fort environ 1000 personnes. Derrière la banderole unitaire, tenue entre autres par Pierre Sidos, ont suivi les cortèges de l’Œuvre française, du Parti de la France, du Renouveau français et de Civitas. À l’arrivée, place des Pyramides, les discours du patron de Civitas, Alain Escada et de l’abbé Beauvais, exceptionnellement en France (puisque muté par la Fraternité Saint Pie X en Espagne), ont clôturé l’hommage à la Pucelle d’Orléans, décidément très courtisée.
A noter toutefois une erreur de casting au cours de la journée : la présence d’Alexandre Gitakos nous a effectivement surpris. Lui qui se revendique ultra-libéral, atlantiste et sioniste a dès son arrivée cherché à tout prix à saluer son amie Laura Lussaud, militante de l’OF, précédemment citée. Comment un soutien inconditionnel de l’État hébreu peut-il se retrouver au milieu d’antisémites notoires, et se sentir proche d’une militante qui quelques heures plus tôt beuglait avec ses camarades « Israël assassin, américains complices » ? Mais il est vrai qu’après avoir assisté à la réconciliation de Kim, ex chasseur de skin et de Serge Ayoub, on peut s’attendre à tout… D’autant que Gitakos nous avait déjà habitué à ses grands, très grands écarts idéologiques, lorsqu’au début des années 2010, il faisait des allers-retours entre l’UNI, le Gud et France-Israël, l’association de Gilles William Goldnadel !
Ce week-end a donc été l’occasion de faire le bilan de santé des groupes à la droite du FN. Les trois premiers événements du week-end (Forum de l’Europe, manif pour Deyzieu et l’hommage à Jeanne d’Arc de l’œuvre française) n’ont guère rassemblé qu’une grosse centaine de personnes : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y avait pas foule. Seuls les nationaux-catholiques ont encore la capacité de mettre un millier de gens dans la rue, ce qui est à la fois trop et bien peu comparativement à ce qu’ils pouvaient espérer tirer des mobilisations contre le mariage pour tous des années 2013-2014.
La Horde