Nous avons finalement mis à jour notre cartographie de l’extrême droite que nous publions régulièrement depuis plus 10 ans, après avoir annoncé que la précédente serait peut-être la dernière, en particulier en raison du développement de groupes locaux au détriment des structures nationales. S’il y a toujours une demande d’un outil de lecture globale des différentes composantes de l’extrême droite, il nous a semblé nécessaire de développer, en complément, un nouvel outil. C’est pourquoi notre cartographie sera complétée, d’ici quelques semaines, d’une carte de France de l’implantation locale de l’extrême droite.
Nous n’avons pas la prétention de présenter ici l’extrême droite de façon exhaustive, qu’il s’agisse de ses représentant·es ou des liens qui pourraient les relier. L’idée est simplement de proposer de façon synthétique et visuelle quelques repères pour s’y retrouver, ce qui oblige fatalement à faire des choix et parfois aussi quelques simplifications.
En complément, il nous a semblé utile, comme nous le faisons à chaque édition de la cartographie, d’apporter des compléments d’information sur les groupes cités.
LES ÉLECTORALISTES
Pour l’union des droites
On observe depuis plusieurs années la droite conservatrice se radicaliser sur les questions liées à la sécurité, l’immigration et l’identité : l’élection à la tête des Républicains d’Eric Ciotti, qui n’hésite pas à parler de « grand remplacement » et promet une droite « du travail, de l’ordre et de l’identité » rend la frontière entre le parti de droite et l’extrême droite de plus en plus floue… Un temps, c’est Eric Zemmour qui a incarné ce rassemblement de la droite de la droite le temps des élections présidentielles, puis avec son mouvement Reconquête !. Tous ceux qui en voulaient à Marine Le Pen (comme Jacques Bompard), les mouvements les plus conservateurs comme Via s’étaient d’abord rangés derrière lui, et des militants identitaires comme Damien Rieu ou Philippe Vardon (passés par le RN) sont venus apporter leur savoir-faire en communication. Une nouvelle génération de droitards a aussi émergé derrière le polémiste, comme Génération Z. Enfin, il a été rejoint par celle qui rêve peut-être de prendre un jour sa place, Marion Maréchal. Mais les mauvais résultats électoraux de Reconquête ! tant à la présidentielle qu’aux législatives de 2022 et la mégalomanie de Zemmour en ont douché plus d’un, et le mouvement est pour l’instant au point mort, tant au niveau électoral qu’au niveau militant. De lui ou de Ciotti, qui sera à la tête d’un large parti de droite conservatrice et identitaire ?
« Ni droite ni gauche »
Fondé en 1972 entre autres par les néofascistes d’Ordre nouveau, le Front National (FN) rassemblait à l’origine tous les courants de l’extrême droite sous l’autorité de Jean-Marie Le Pen. La scission de 1998 a affaibli le parti jusqu’en 2011 où Marine Le Pen a succédé à son père avec la volonté affichée de s’affranchir du folklore nationaliste. Ce « nouveau » FN, renommé en 2018 Rassemblement national a en partie fait le ménage dans ses rangs et renforcé sa ligne « ni droite ni gauche » en mettant plus de préoccupations sociales dans son programme. Si le RN est aujourd’hui sans véritables alliés, sa base électorale est solide : Zemmour a permis à Marine Le Pen de se recentrer tout en lui donnant du crédit. Présente au second tour en mai 2017 et 2022, Marine Le Pen a réussi aux dernières législatives à envoyer 89 de ses cadres à l’Assemblée nationale. Préparant sa candidature de 2027, elle a laissé la présidence à l’ambitieux Jordan Bardella au détriment de certains de ses plus fidèles soutiens, comme Steeve Briois, créant une fracture au sein du RN. Du côté des maires RN, certains, comme Romain Lopez, une fois élu, prennent leur distance avec le parti, comme Robert Ménard l’avait fait avant eux.
L’avenir semble en revanche bouché pour les souverainistes qui refusent l’étiquette « de droite » comme l’UPR ou Les Patriotes de Florian Philippot, qui n’existent plus que dans les milieux complotistes...et dont l’activité se concentre sur les réseaux sociaux.
LES RÉACTIONNAIRES
Au-delà des partis favorables à l’union des droites, le mouvement conservateur est aussi représenté par des personnalités politiques de la droite « hors les murs », comme Philippe de Villiers, et par de petites structures souvent issus des Républicains, comme Sens commun devenu le Mouvement conservateur (aujourd’hui absorbé par Reconquête !) ou l’Avant-Garde de Charles Million, qui a beaucoup fait pour la création de l’ISSEP, une école pour former les cadres conservateurs de demain, qui a puisé son inspiration dans une autre structure de formation conservatrice, l’Institut de Formation politique (IFP).
Mais la guerre culturelle est surtout menée par des sites (comme Boulevard Voltaire) ou des revues, comme Causeur ou L’Incorrect, qui entendent prendre leur revanche sur l’hégémonie supposée de la gauche dans ce domaine, et saturer l’espace public de leurs obsessions patriarcales, islamophobes, et nationalistes. Tous sont pour l’essentiel derrière Zemmour, même si la confiance dans les capacités de ce dernier à rassembler s’est très largement effritée.
Du côté des organisations de jeunesse, Zemmour peut en tout cas compter sur le soutien sans faille de la Cocarde étudiante, un syndicat dont les militants n’hésitent pas à faire le coup de poing, et de l’Action française (cf. infra). Une structure féminine a vu le jour, le collectif Nemesis qui, sous couvert de « féminisme de droite », défend en réalité le modèle patriarcal.
Collectif soutenu par la droite catholique, la Manif pour Tous (LMPT) a organisé en 2012-2013 des manifestations massives contre le projet de loi sur le mariage homosexuel. LMPT s’est essoufflée, et son vice-président, Albéric Dumont, est aujourd’hui chargé de la sécurité de Zemmour.
Les nationaux-catholiques
Les réseaux catholiques tradis sont denses car ils peuvent s’appuyer sur certaines paroisses et ils disposent de nombreux médias Présent, passé de quotidien à hebdomadaire, ou Radio Courtoisie), de maisons d’édition comme les éditions du Chiré et de sites internet, comme le Salon beige ou Media Presse Info. Avec comme mot d’ordre « Dieu, Famille, Patrie », Civitas est lui un parti politique voulant imposer sa foi à toute la société, à travers un discours ouvertement islamophobe et plus discrètement antisémite.
L’Agrif lutte elle contre la « christianophobie » et le « racisme anti-blanc », porte plainte et se constitue partie civile dans des procès. La lutte anti-IVG est l’un des combats historiques des cathos tradis : les Marches pour la Vie rassemblent chaque année plusieurs milliers de gens et la Fondation Lejeune, depuis 1996, associe recherches scientifiques sur les maladies génétiques et engagement militant contre l’avortement. Academia Christiana, fondée en 2013, est une structure de formation animée par Victor Aubert. Son réseau est assez étendu et a tendance à grossir : il va de mouvements traditionalistes (comme la Fraternité Saint-Pie-X) jusqu’aux activistes identitaires, en passant par la Nouvelle Droite. Une autre structure, Ichtus, assure également des formations.
LES MÉDIAS
Prétextant une volonté de se démarquer des médias mainstream, des médias nationalistes locaux comme Breizh Info ou Infos Bordeaux tentent de faire passer leur propagande pour de l’information. Le plus professionnel est sans conteste TV Libertés, une webTV proposant une grille de programmes assez diversifée. D’autres se contentent d’exploiter les possibilités offertes par les réseaux sociaux, en mettant en pratique le concept de réinformation forgé par le think tank Polémia, créé par Jean-Yves Le Gallou, proche des Identitaires et ancien du GRECE, associant critique des médias et réhabilitation des idées d’extrême droite. D’autres, comme Vincent Lapierre, formé chez E&R (cf. infra), se font passer pour des médias « indépendants », alors que Le Média pour Tous a toujours été au service de l’extrême droite.
Mais aujourd’hui, ce sont aussi des médias mainstream qui servent de relais à leur propagande, sous l’impulsion de propriétaire de médias comme le milliardaire catholique Vincent Bolloré avec Cnews, ou à l’initiative d’animateurs, comme André Bercoff de Sud Radio.
D’autres rêvent d’associer la diffusion de leur propagande à de l’activisme sans y parvenir, faute de militants. C’est le cas de l’islamophobe Riposte laïque ou de l’antisémite Égalité & Réconciliation qui n’est plus désormais que le fan-club de son fondateur Alain Soral. Les négationnistes comme Vincent Reynouard ou Hervé Ryssen, condamnés à plusieurs reprises, peuvent en tout cas remercier E&R qui a contribué à populariser leurs thèses délirantes.
Dans le sillage de Soral, avec lequel tous sont fâchés ou presque, divers individus se sont fait un nom à travers des vidéos en affichant leur amour du nazisme comme Daniel Conversano et son mouvement attrape-nigauds les Braves, ou en remettant au goût du jour la figure du macho réac franchouillard comme Papacito, l’ex-FNJ Julien Rochedy ou Baptiste Marchais. Quelques filles tentent aussi de se faire un nom : la catho intégriste Virginie Vota fut l’une des pionnières, et devenir influenceuse est aujourd’hui une porte de sortie pour des militantes exposées, comme Thaïs d’Escufon, ex-égérie de Génération identitaire, ou Alice Cordier, du collectif Nemesis. D’autres personnages, plus ou moins folkloriques, comme l’abbé Raffray qui professe « bagarre et prière », émergent puis souvent disparaissent.
La Nouvelle Droite
Pour réhabiliter sa vision inégalitaire du monde et pouvoir à nouveau s’imposer dans le débat public, l’extrême droite devait lutter sur le terrain des idées. Depuis les années 1970, deux groupes de réflexion, le Groupement de Recherche et d’Étude pour la Civilisation Européenne (GRECE), inactif aujourd’hui, et le Club de l’Horloge (devenu le Carrefour de l’Horloge) y travaillent, donnant naissance à ce que les observateurs ont appelé la Nouvelle Droite.
Alain de Benoist est le principal représentant de ce courant, et le seul à être véritablement un intellectuel. Esprit plutôt libre, il n’est d’aucune chapelle, ce qui lui permet, en particulier à travers la revue Éléments, de brouiller les cartes. En revanche François Bousquet, qui tient la Nouvelle Librairie à Paris, milite pour l’union des droites et adopte des positions plus conservatrices.
À l’instar d’Academia Christiana pour le camp national-catholique ou de l’IFP pour les réacs, la Nouvelle Droite dispose aussi d’un outil de formation, l’institut Illiade, qui organise des conférences et des cycles de formation sur « le Great reset », les « pensées non-conformes » ou « la défense de la civilisation européenne », dans la continuité de ce que proposait le GRECE.
LES ACTIVISTES
L’Action française (AF) est le plus vieux mouvement nationaliste en activité. Royaliste, historiquement école de formation, l’AF organise des colloques mais aussi des actions de rue. Une énième scission en 2018 a éloigné les anciens restés fidèles à l’antisémitisme historique et à la nostalgie vichyste. L’AF d’aujourd’hui se réfère toujours à Maurras, mais en concentrant ses attaques contre les musulmans et en essayant d’être moderne.
Les Identitaires ont tenté depuis leur création en 2002 de se démarquer de l’extrême droite traditionnelle, en misant tout sur la communication. Sa structure jeune, Génération identitaire (GI), a pris son autonomie en 2012, puis a été dissoute en 2021 alors qu’elle était déjà en perte de vitesse. Des locaux identitaires restent ouverts, comme à Lyon (Les Remparts) ou à Lille (La Citadelle), mais les différentes tentatives locales (les Normaux, les Natifs) ou nationale (Argos) de relancer la machine identitaires ont pour l’instant fait long feu.
Fondé en 2009 par Carl Lang, ancien n°2 du FN, et aujourd’hui présidé par Thomas Joly, le Parti de la France cherche à faire de l’agitation, tout en se présentant parfois à des élections, avec des résultats insignifiants. Nostalgique du FN des années 1980, le parti se veut proche de Jean-Marie Le Pen, président du FN pendant 40 ans, exclu depuis 2015 du parti par sa propre fille mArine, et aujourd’hui relique en fin de vie adulée d’une poignée de fidèles, comme Bruno Gollnisch, toujours au RN.
Les groupes locaux
Des groupes implantés localement se revendiquent « identitaires » ou « enracinés » sans être affiliés à une organisation précise. Certains se posent en hériters du GUD (mouvement étudiant nationaliste-révolutionnaire), mais la plupart sont en réalité de simples bandes affinitaires. Ils reçoivent à l’occasion le renfort de hooligans d’extrême droite et n’ont pas vraiment d’expression politique en dehors de leurs attaques contre des militant·es de gauche et la publication d’images néonazies sur le canal Ouest Casual. Pour essayer de suivre cette nouvelle tendance des groupuscules, nous avons réalisé une carte de France de l’extrême droite téléchargeable sur notre site. D’autres groupuscules tout aussi confidentiels se revendiquent ouvertement du fascisme historique. C’est le cas des Nationalistes (ex-PNF) qui s’inscrivent dans la continuité de l’Œuvre française dissoute en 2013. Proche d’eux, un collectif de soutien aux nationalistes et aux négationnistes emprisonnés, le CLAN, est animé par l’avocat Pierre-Marie Bonneau.
Les néonazis n’ont plus d’organisation les fédérant depuis la dissolution en 2013 de Troisième Voie de Serge Ayoub (qui s’est recyclé en fondant un club de bikers, le Gremium MC), mais des bandes informelles représentent toujours une menace. Des sites de musique (Martel en tête) ou de vêtements associés au MMA (Pride France) continuent à diffuser du matériel à la gloire du nazisme.
La Horde