L’ouverture d’une nouvelle librairie à Paris en septembre dernier a été le principal événement de la rentrée pour l’extrême droite francilienne : quelques journalistes s’y sont intéressés, mais en se contentant d’aller y dénicher des ouvrages "sulfureux", sans plus s’intéresser ni à la genèse du projet de la librairie, ni au parcours de son gérant, François Bousquet. C’est donc ce que nous vous proposons de découvrir…
L’idée d’ouvrir une nouvelle librairie nationaliste dans Paris semble se concrétiser au début du printemps 2018, motivée par au moins deux raisons.
Premièrement, en particulier en raison d’une forte hausse du loyer, et moins de deux ans après la mort de son fondateur Emmanuel Ratier, la petite librairie Facta se voit contrainte de fermer en juin, faisant ainsi disparaître la dernière librairie d’extrême droite parisienne, si on excepte les librairies catholiques traditionalistes, Librairie française incluse [1].
Deuxièmement, la revue Éléments cherchant à étendre son influence comme passerelle entre toutes les droites, il lui fallait pour cela un espace physique pour organiser des rencontres, mettre à l’honneur certains auteurs et devenir ainsi the place to be de l’union des droites. C’est pourquoi le projet se présente à l’origine comme un projet collectif, auquel participe différentes tendances de l’extrême droite ayant une activité éditoriale importante, avant de finalement accoucher d’une librairie toute entière dédiée au projet de l’aile la plus à droite de la revue Éléments , qu’incarne François Bousquet.
Si on en croit Alain Soral (mais les déclarations de ce mythomane sont toujours à prendre avec des pincettes), pas moins de cinq acteurs différents de l’édition nationaliste (sans qu’il précise lesquels), dont lui-même, se seraient retrouvés autour d’une table pour préparer l’ouverture d’une nouvelle librairie. Le libraire de Facta, pourtant pressenti dans un premier temps pour être le gérant du nouveau lieu, aurait finalement été écarté dans le courant de l’été, au profit de Bousquet, confirmant ainsi la prise en main du projet par l’équipe d’ Éléments . François Bousquet, pourtant, dans une interview accordée à la web TV d’extrême droite TV Libertés, prétendait le 2 septembre, à l’occasion de l’ouverture officielle de la librairie : « Ce n’est pas la librairie d’Éléments, ce n’est pas la librairie de la Nouvelle Droite », même s’il reconnait que la revue la parraine. Alors qui croire ?
En mai 2018, une société intitulée « la Nouvelle Librairie », au capital de 500 euros, voit le jour, comptant deux actionnaires : François Bousquet à hauteur de 50 euros, et, à hauteur de 450 euros et donc de loin l’actionnaire majoritaire, la Société européenne de Promotion et de Diffusion (Sepredif), spécialisée dans le conseil en matière de relations publiques et de communication, créée 2015 et domiciliée à Toulon. Le rapport avec la librairie ? Les deux actionnaires de la Sepredif sont des figures historiques de la Nouvelle Droite.
Le premier, Jean-François Husson [2], est l’un des créateurs dans les années 1970, avec d’autres membres du GRECE, des éditions du Labyrinthe, qui éditait les deux revues Éléments et Nouvelle École , ainsi que les actes des colloques du GRECE. Ces éditions n’ont plus d’activités depuis juin 2013, mais Husson en est toujours le liquidateur judiciaire.
Le second, Alain Lefebvre, écrivait dans les années 1960 dans la revue Europe-Action : fondée par Dominique Venner, et surtitrée « le magazine de l’homme occidental », cette revue a joué un rôle majeur pour l’extrême droite nationale-européenne et racialiste.
Sous le nom de Fabrice Laroche, Alain de Benoist y est secrétaire de rédaction, puis rédacteur en chef du supplément hebdomadaire. René Monzat et Jean-Yves Camus, dans leur ouvrage Les droites nationales et radicales , considèrent Europe-Action comme « le lieu où se sont formés les fondateurs et les idées de la “Nouvelle Droite”, et en particulier du GRECE. » Et de fait, en 1998, Lefebvre fait partie des membres fondateurs du GRECE, participe à la revue Nouvelle École et retrouve de Benoist dans les colonnes du Figaro magazine dans les années 1980. Il tente en 1982 de lancer un magazine grand public pour populariser les idées de la Nouvelle Droite, Magazine hebdo , mais sans succès. En 1985, Jean-Claude Valla, autre figure de la Nouvelle Droite, reprend le titre sous la forme d’une lettre d’informations confidentielles, La Lettre de Magazine hebdo , qui fait penser, dans une certaine mesure, à ce qu’Emmanuel Ratier fera quelques années plus tard avec Faits & Documents .
Pas de doute donc, la Nouvelle Librairie est bien la librairie de la Nouvelle Droite, au service des éditions de la Nouvelle Droite, et porteuse du projet de la Nouvelle Droite. Mais, en se penchant un peu sur la personnalité et le parcours de son gérant, on comprend que le projet stratégique de la Librairie est de permettre à cette Nouvelle Droite à la fois de se fondre dans le paysage et de se rendre incontournable dans la recomposition qui s’opère à la droite de la droite.
Le parcours de François Bousquet
Né en 1968, François Bousquet, qui prétend avoir voulu être paysan quand il avait dix ans, fait sagement, en bon petit-bourgeois, des études de lettres, et se délecte de la lecture de L’Idiot international , le journal dirigé par Jean-Édern Allier [3], que Bousquet qualifie aujourd’hui de « plus grand journal des années Mitterrand ». S’il est vrai que le journal dérange le pouvoir par certaines de ses révélations et ne sera pas épargné par la justice, Jean-Edern Hallier a également été condamné en 1991 à 50 000 francs d’amende pour « provocation à la haine raciale » ; la même année, il a déclaré au Monde : « L e Pen représente beaucoup de Français de la France profonde. Il faut réconcilier Doriot et Thorez »…
Quoiqu’il en soit, Bousquet est fan de Jean-Edern, et il rejoint l’équipe d’une émission de télévision sur la câble animée par le polémiste, le Jean-Edern’s Club. Allier avait l’habitude lors de cette émission de jeter par terre les livres qu’il n’aimait pas : ce geste sera repris bien des années plus tard par Bousquet lui-même, dans son émission sur TV Libertés, Le + d’Éléments, au cours de laquelle il a ainsi balancé ainsi l’Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron, qu’il qualifie de « merde », de « monument de francophobie » et dont il résume ainsi le propos : « c’est Touche pas à mon pote le Sarrazin, Touche pas à mon pote le Malien, Touche pas à mon pote l’Africain ». Un vrai critique littéraire, ce Bousquet, tout en nuances !
Malgré ce manque de respect pour l’objet-livre, c’est bien comme libraire (eh oui, déjà) que Bousquet poursuit sa route, au 5 de la rue Férou, dans la librairie des éditions l’Âge d’Homme, auxquelles il participe du milieu des années 1990 jusqu’au début des années 2000. Ces éditions ont été fondées en 1966 par l’éditeur serbe Vladimir Dimitrijevic, décédé en 2011, qui a, entre autres, publié de nombreux auteurs russophones. Mais ces éditions ont aussi publié des œuvres « adultes » de Pierre Gripari, que les éditions l’Âge d’Homme décrivent pudiquement comme « anti-conformiste » [4].
Mais ce sont surtout ses liens avec la Nouvelle Droite qui caractérise la maison d’édition de Dimitrijevic. Les éditions de L’Âge d’Homme vont être la principale maison d’édition de la Nouvelle Droite (Alain de Benoist, Arnaud Guyot-Jeannin, Jean-Claude Albert-Weil, Eric Werner), alors même que ce courant dispose de sa propre maison d’édition, les éditions du Labyrinthe (dont nous avons parlées précédemment) mais dont l’activité est très confidentielle. Le site antifasciste REFLEXes précise que « l’antenne française de l’éditeur attire autour d’elle des personnages fantasques comme Jean Parvulesco, ancien dissident roumain, longtemps proche du GRECE après avoir côtoyé l’OAS dans les années 1960 et les milieux nationalistes-révolutionnaires dans les années 1970, ou encore Patrick Gofman, ancien de l’OCI passé au nationalisme »
Au début des années 1990, avec la guerre qui fait rage en ex-Yougoslavie, les éditions L’Âge d’Homme font la promotion du nationalisme grand-serbe : Dimitrijevic se rapproche alors de tous ceux qui affichent leur soutien aux Serbes ou leur opposition à l’Islam. C’est ainsi qu’aux éditions l’Âge d’Homme, Bousquet fait la connaissance d’un autre réfugié serbe, Slobodan Despot.
Despot lance quelques années plus tard, en 2005, sa propre maison d’édition, Xénia, avec laquelle il publie entre autre Renaud Camus et sa théorie selon laquelle l’antiracisme serait "le communisme du XXIe siècle", Jean Robin et sa fameuse théorie de « la nouvelle extrême droite » qui serait en fait la gauche (il fallait y penser !), ou encore les entretiens d’André Bercoff avec l’islamophobe revendiquée Christine Tasin et le fondateur du mouvement identitaire Fabrice Robert dans Apéro saucisson pinard . Notons au passage que Despot est aussi un ami et un conseiller d’Oskar Freysinger, le vice-président de l’UDC suisse, elle aussi très islamophobe, avec qui il a rédigé l’ouvrage Oskar et les minarets. La Suisse, un « village gaulois » face à l’islam et à la mondialisation .
Despot est par ailleurs un compagnon de route de longue date du GRECE : déjà en 2003, il est un des intervenants à un de leurs colloques. Aujourd’hui ses papiers trouvent leurs places aussi bien dans la revue Eléments que dans le magazine Marianne. Enfin, en novembre 2017, Despot a lancé le n°0 du Drone de l’antipresse , dont il est le directeur-rédacteur en chef, dans lequel il signe un article assez ridicule sur l’antifascisme vu sous un angle complotiste.
Bousquet le journaliste
Mais Bousquet a surtout à son actif une carrière de journaliste : il aime à rappeler qu’il a écrit dans Le Figaro magazine ou Valeurs Actuelles , et il assume pleinement être depuis près de vingt ans collaborateur d’ Éléments , la revue de la Nouvelle droite. Mais il est en revanche plus discret sur sa participation à la nouvelle formule du Choc du Mois .
Cette revue avait défrayé la chronique dans les années 1980-1990, en particulier en publiant un entretien avec Robert Faurisson, qui y avait déclaré entre autres « Le mythe des chambres à gaz est une gredinerie », des propos pour lesquels la revue sera condamnée en 1991. Si la nouvelle formule prend ses distances avec le passé sulfureux de son aîné, en particulier sur cette question du négationnisme, on y trouve quand même un discours de droite plutôt musclée. Ainsi, dans le n°9 de la revue, au détour d’une note de lecture de l’ouvrage de Renaud Camus consacré à l’antiracisme, Le Communisme du XXIe siècle [5], Bousquet fait sienne la pensée de celui qui quelques années plus tard, développera la théorie dite « du grand remplacement » [6].
En 2012, Bousquet participe au lancement d’un nouveau journal, intitulé Droit de regard , et qui se définit comme « le magazine de la droite Zemmour », et surtout "sans ennemi à droite" : pour ce faire, il s’associe à Jean-Émile Néaumet, alias Nicolas Gauthier, un journaliste passé par les différentes publications d’extrême droite ( Présent, National Hebdo, Le Choc du Mois, Minute …) et qui sortait alors tout juste de l’aventure de Flash , l’hedbomadaire animé entre autres par Alain Soral (Gauthier est aujourd’hui sur TV Libertés).
Mais cette revue ne verra finalement jamais le jour. François Bousquet se concentre donc sur sa participation à la revue Éléments , au sein de laquelle il représente l’aile droite, et dont il devient le rédacteur en chef en 2017. Dans Éléments, mais aussi sur TV Libertés où il est régulièrement invité, ou encore sur Radio Courtoisie où il anime une émission de radio, Bousquet fait tout pour sortir l’extrême droite de son ghetto, et multiplie les appels du pieds aux personnalités médiatiques et politiques de toutes les droites.
Pour cela, et sans beaucoup d’imagination, il reprend la catégorisation établie par René Rémond il y a plus de soixante ans mais en les incarnant par des personnalités « actuelles » : Philippe de Villiers (en dédicace à la Nouvelle Librairie le 18 octobre) serait le représentant de la droite légitimiste, i.e. catholique et contre-révolutionnaire ; Patrick Buisson (à qui Bousquet a consacré un livre, La Droite buissonnièr e) celui de la droite orléaniste, i.e. libérale et parlementaire ; et Éric Zemmour (en dédicace à la librairie le XX septembre) celui de la droite bonapartiste, i.e. étatiste et gaulliste. De son point de vue, il n’existe pas de droite fasciste en France : il veut bien reconnaitre l’existence d’un national-populisme qui s’efforcerait de transcender le clivage droite-gauche, mais c’est bien tout.
Bousquet prétend lui incarner une « nouvelle droite décomplexée et dynamique », et non plus une « paléodroite poussiéreuse », comprendre, pour l’essentiel, une extrême droite radicale mais débarrassée du fardeau de l’antisémitisme. Et de fait, malgré ce qu’ont tenté de démontrer un certains nombre de journalistes par paresse, on ne trouve pas les mêmes ouvrages dans la Nouvelle Librairie qu’à Facta : si Coston et certains romanciers connus pour leur compromission avec Vichy sont (discrètement) présents, on n’y trouve pas de rayon « judaïsme », et inutile de demander au libraire quelques ouvrages « spécialisées » cachés dans l’arrière-boutique, il n’y en a plus…
Cette « trahison » d’une certaine tradition de l’extrême droite française (et de « l’esprit Facta ») lui a valu une petite passe d’arme par sites internet interposés avec Alain Soral, qui n’a pas trop apprécié de voir certains ouvrages de sa maison d’édition Kontre-Kulture ne pas être les bienvenus dans la Nouvelle librairie pour cette raison. Cela étant, la colère de Soral est tout autant motivé par le soutien affiché de Bousquet à ses ennemis des éditions Ring, le dessinateur Marsault en tête, qui avait d’ailleurs fait la « une » du numéro 172 d’Éléments. Pour le gourou d’Égalité & Réconciliation, la politique, c’est toujours d’abord une histoire d’ego et de business !
Pourtant, au début des années 2000, alors que Soral est déjà bien connu pour ses prises de position très hostiles envers la communauté juive, François Bousquet ne trouve rien à lui reprocher. Il a même été blessé lors de l’attaque par la LDJ d’une séance de dédicace de Soral le 28 septembre 2004 à la librairie parisienne Au Pays de Cocagne…
À propos de violence, une dernière chose pour finir. Bousquet a beaucoup pleurniché concernant la sécurité de sa boutique, en accusant L’Express d’avoir jeté sa librairie en pâture aux « antifas » : mais c’est pourtant bien lui-même, sur TV Libertés, qui parlait de son projet comme d‘une « provocation », d’une « contre-offensive », déclarant « nous devons redevenir dominants », « la guerre, nous devons la mener », des mots pour le moins agressifs. Dans le + d’Éléments de juin 2018, Bousquet, qui aime faire le fanfaron bien à l’abri dans le studio de ses amis, décrit ainsi les "black blocs" : « ces gens-là sont des faux durs, des faux révolutionnaires, de faux insurgés… Il faudrait presque les faire condamner pour usurpation d’identité révolutionnaire . (…) Comment prendre au sérieux ces gens-là ? (…) Ce sont des bouffons . » Pourtant, quand ces « bouffons » sont venus lui rendre visite dans sa boutique, Bousquet s’est fait caca dessus, et a aussitôt truffé sa boutique de caméras. Quand ces « bouffons » ont fait mine de passer à quelques centaines de mètres de sa librairie, C’est bien lui, Bousquet, qui a appelé la police « du système » pour qu’elle le protège, ainsi que, lors de la venue de Zemmour par exemple, quelques gros fachos pour assurer la protection de son petit commerce. Alors, François, après ça, c’est qui le "bouffon" ?
La Horde