Dimanche prochain, Riposte laïque (RI) appelle à un rassemblement à Paris, avec comme slogan "Islamistes : hors de France". RI espère que cette initiative, prévue avant les attentats de la semaine dernière, sera l’occasion aux islamophobes de toute tendance de se rassembler, et le groupuscule se rêve déjà en mouvement populaire à l’allemande. Mais les choses ne seront pas si simples pour RI, d’autant qu’un appel à se mobiliser pour s’opposer à son rassemblement et plus largement pour dénoncer toutes les agressions islamophobes des derniers jours a été lancé par l’Action antifasciste Paris-Banlieue. C’est l’occasion pour nous non seulement d’appeler à rejoindre cette initiative antifasciste, mais aussi de revenir sur l’histoire de Riposte laïque.
Le site internet Riposte laïque apparaît sur le net en septembre 2007 : son fondateur, Pierre Cassen, ancien militant communiste et syndicaliste, était fatigué du "laxisme" de ses camarades du journal laïque Respublica et de l’Union des familles laïques (UFAL) à l’égard de l’islam, et souhaitait lancé une nouvelle publication débarrassée des « gauchistes républicains, anti-flics et pour la régularisation des sans papiers » [1].
Il lui fallut donc chercher de nouveaux amis : puisque quasiment tout le monde à gauche lui reproche sa position islamophobe, c’est à droite, voire à l’extrême droite qu’il va les chercher. Cependant, à l’origine, Riposte laïque reste sur une ligne plutôt confusionniste, et regroupe des gens issus de la gauche social-démocrate, dont plusieurs militantes féministes comme Annie Sugier (qui quittera le mouvement en 2012) ou Michèle Vianès, mais également des souverainistes venus de Debout la République, comme Christine Tasin, et offre des tribunes à des soutiens du Front national [2].
Mais c’est à partir de 2010 que Pierre Cassen se rapproche véritablement des mouvements nationalistes. On le retrouve au Local de Serge Ayoub, accompagné entre autres de Christine Tasin, pour une conférence sur « l’islamisation », puis, mi-septembre, à la convention nationale du Rassemblement pour l’Identité de la France (RIF) de Paul-Marie Coûteaux (qui sera deux ans plus tard à l’initiative du Rassemblement Bleu Marine). On le croise également à une soirée-débat de l’aile dure de l’UMP, la Droite libre, sur le thème « Immigration, islamisme : la France menacée ? ».
Mais c’est véritablement lorsqu’il se rapproche du Bloc identitaire que Pierre Cassen va d’une part définitivement dissiper l’illusion d’un ancrage à gauche de RI et d’autre part apparaître dans la rue.
Surfant sur la mode de l’époque des apéros-pinard, sorte de beuveries de rue apolitiques qui fleurissent alors un peu partout en France, les Identitaires et Riposte laïque lancent pour le 18 juin 2010 un événement Facebook initié par une certaine « Sylvie François » (visiblement inventée de toutes pièces) pour organiser dans le quartier parisien de la Goutte d’Or [3] un apéro « saucisson-pinard », dans la droite ligne d’une initiative identitaire précédente (la soupe populaire au cochon) alliant action de rue festive ou caritative et discrimination de fait à l’égard des juifs et des musulmans (ces derniers étant nombreux dans l’arrondissement concerné). Gros buzz sur internet et dans les médias : présentée comme une critique anti-religieuse, l’initiative est beaucoup relayée (Eric Zemmour, déjà, salua l’initiative), mais très peu analysée comme une opération de communication de l’extrême droite, la présence de Riposte laïque achevant de brouiller la vue d’ensemble. Au final, l’apéro raciste n’a pas lieu et devient un rassemblement de plusieurs centaines de personnes sur les Champs-Élysées, un quartier qui convient mieux à nos petits bourgeois en mal de sensation forte : mais l’opération politique avait atteint son but.
Fort de ce « succès », Riposte laïque et les Identitaires poursuivent un petit bout de chemin côté à côte, avec l’organisation des Assises sur l’Islamisation de l’Europe en décembre 2010 : à noter que des membres de la Ligue de Défense juive (LDJ, extrême droite) ont participé au service de sécurité [4]. Mais au final le rapprochement avec les Identitaires ne tient pas : on ne se fâche pas, mais on ne collabore plus. Le tout nouveau attachement du Bloc à la République et à la laïcité volera d’ailleurs en éclat au moment des mobilisations contre le mariage pour tous, mais c’est une autre histoire…
Riposte laïque se retrouve à nouveau un peu isolé, en tout cas déserte le terrain de la rue. C’est plutôt dans les tribunaux qu’il faut chercher les responsables du site internet : en mars 2012, Pierre Cassen et Pascal Hilout sont condamnés pour « provocation à la haine envers les musulmans » pour des propos islamophobes tenus en 2010 (le procès en appel, en juin 2014, confirmera le jugement). En juillet 2014, c’est Christine Tasin qui est condamnée pour « incitation à la haine raciale » pour avoir déclaré « je suis islamophobe et alors ? La haine de l’islam j’en suis fière. L’islam est une saloperie. » (elle sera, elle, relaxée en appel…).
Riposte laïque conserve malgré tout quelques amis, en particulier au Front national : Cassen et Tasin sont en particulier proches du tout nouveau maire d’Hayange, Fabien Engelmann, qui publie aux éditions de Riposte laïque sa pathétique biographie, Du gauchisme au patriotisme , préfacée par Pierre Cassen, dans laquelle, entre autres inepties, il déclare à propos des immigrés en France : « trop viennent bien souvent pour profiter des aides sociales sans travailler et pour imposer une idéologie religieuse moyenâgeuse. » No comment !
En dehors de l’animation du site, de quelques conférences et de l’édition d’ouvrages aux titres aussi évocateurs que Reconquista - la mort de l’Europe ou encore Musulmans, vous nous mentez ! , Riposte laïque tournait donc plutôt au ralenti ces derniers mois : jusqu’à présent, à chaque fois que l’association a prétendu descendre dans la rue, soit elle a rassemblé une douzaine de personnes (cf. apéro saucisson-pinard « contre le ramadan » le 9 juillet dernier à Paris), soit son rassemblement a été interdit par la préfecture [5], ce qui lui a au moins évité d’être ridicule.
Il va de soi que dans le contexte actuel, le rassemblement du 18 janvier prochain avec pour mots d’ordre « Islamistes hors de France », qui avait été lancé avant les attentats de la semaine passée, représente une aubaine inespérée pour Riposte laïque : mais, au-delà même des tentatives d’interdiction de la part du ministère de l’Intérieur, aura-elle les forces pour encadrer plus d’une vingtaine de personnes ? Il est vrai que le rassemblement est soutenu par quelques autres groupes d’extrême droite : le Bloc identitaire, le Réseaux Identités (une scission du Bloc, ça promettrait si tout ce petit monde se retrouvait vraiment dans la rue !), la Ligue de Défense Juive, ou encore Renaud Camus, le théoricien du « grand remplacement », mais aussi, ce qui est assez étonnant, les catholiques intégristes de Bernard Antony [6].
Pas de quoi rassembler les foules, mais Riposte laïque se présente pourtant comme une version française du mouvement Pegida allemand, qui est pourtant d’une toute autre nature. Malgré tout, les médias gobent la filiation, d’autant qu’est annoncée la présence de Mélanie Dittmer, qui n’est pas de Pegida d’ailleurs mais de Kögida, un regroupement qui reprend le visuel et le nom de Pegida, mais qui n’est pas reconnu par Pegida, comme le montre la mise au point ci-contre. Cela ne signifie pas pour autant que Riposte laïque ne parviendra pas à mobiliser, mais il importe de briser le mythe d’un "mouvement citoyen" islamophobe, car Riposte laïque, son histoire le montre suffisamment, n’est rien d’autre qu’un groupuscule d’extrême droite qui tente de profiter au maximum des drames de ce début du mois de janvier pour rendre plus visible et plus "acceptable" son discours raciste.
La Horde