Le rock mainstream völkisch

Frei.Wild, du Sud-Tyrol, est un des groupes de rock de langue allemande qui rencontre le plus de succès actuellement. Son « rock allemand patriotique » a conduit le groupe dans de très grandes salles de rock, et c’est le genre de développement qu’il faut regarder avec un œil extrêmement critique. Car « apolitique » est un qualificatif que les membres de Frei.Wild aiment utiliser pour se décrire, mais dont ils sont très éloignés. Avec leurs chansons, ils popularisent des positions nationalistes völkisch , déclarent ouvertement leur refus des idées d’ouverture et d’émancipation et se font applaudir des deux mains par l’extrême droite la plus radicale.

Le 14 octobre, au cours d’une émission de la télé néonazie en ligne FSN-TV, les deux animateurs (dont Patrick Schröder, du NPD du Haut-Palatinat) et leurs invités (parmi lesquels Sven Diem, cadre des Junge Nationalisten, et Uwe « Uwocaust » Menzel, militant hyperactif de la scène rock d’extrême droite de Potsdam) ont débattu du contenu politique des chansons de Frei.Wild et de l’utilisation que l’extrême droite radicale pourrait faire de leur succès. D’après Schröder, le groupe n’est « politiquement peut-être pas à 100% sur [leur] ligne, mais au moins à 80%, même s’ils n’en avouent que 30%. » Il dit aussi comprendre le chanteur Philipp Burger, qui, pour faciliter sa carrière au sein du groupe, a mis fin à son engagement au sein du parti d’extrême droite du Sud-Tyrol (Die Freiheitlichen) et se distancie depuis des nazis par des formules anti-extrémistes toutes faites. Pour Schröder, ce positionnement est même plutôt avantageux car Burger a la possibilité de médiatiser la question du Sud-Tyrol dans la société et au sein de la jeunesse, mille fois mieux que lorsqu’il était simple membre du parti. » [ sic !]

Au delà de ça, les participants au débat ont discuté de la chanson « Wahre Werte » (De vraies valeurs) qu’ils n’interprètent pas comme une simple déclaration en faveur de « l’amour de la patrie », comme le proclame groupe Frei.Wild. Pour les néonazis, on reconnaît dans les lignes suivantes la revendication sans ambiguïtés du « Volkserhalt  » (la conservation du peuple) : « Wo soll das hinführen, wie weit mit uns gehen. Selbst ein Baum ohne Wurzeln kann nicht bestehen. […] Sprache, Brauchtum und Glaube sind werte der Heimat. Ohne sie gehen wir unter, stirbt unser kleines Volk » (Où cela nous mènera-t-il, jusqu’où vont-ils nous aller. Même un arbre sans racines ne peut exister. […] La langue, les coutumes et les croyances sont les valeurs de notre patrie. Sans elles, c’est le déclin, la mort de notre petit peuple, NDT). Aucun détracteur de Frei.Wild n’aurait pu présenter les choses de façon plus convaincante. Dans la suite de l’émission, les néonazis ont débattu de la possibilité de gagner les fans de Frei.Wild à leur propre cause, même si les fans en question sont « complètement ignares ». Mais, même s’ils ne « sont pas fixés idéologiquement par Frei.Wild ou les Böhse Onkelz », il ne faut pas « négliger […] le potentiel » qu’ils représentent.

Le journal lycéen de la Nouvelle Droite Blaue Narzisse se déclare également très intéressé par le succès que rencontre Frei.Wild, de même qu’une partie des Identitaires locaux. Sur un blog autrichien proche de cette mouvance a paru une contribution qui relatait de façon enthousiaste un de leurs concerts à Vienne. L’auteur se réjouissait que devant la salle de concert, on puisse lire que « les Identitaires de Vienne saluent Frei.Wild ». Le compte rendu euphorique du concert se terminait par ces mots : « Nous aussi souhaitons à Frei.Wild beaucoup de succès dans leur tournée et qu’ils puissent apporter aux fans ce qu’ils attendent tous avec ardeur : un rock identitaire pur et dur, sans concessions ! » À contre courant de ce qu’en dit le chanteur Philipp Burger, selon qui « les nazis vraiment convaincus ne trouvent pas leur compte avec Frei.Wild », les néonazis et la Nouvelle Droite font donc des références très positives au groupe.

Air connu, chanson nouvelle

La discussion autour de Frei.Wild n’a rien de nouveau. Déjà en 2008, l’histoire du groupe et surtout les activités de Burger avait provisoirement plombé groupe. Après des déclarations mi-figue mi-raisin, par lesquelles Burger s’est distancié de ses positions radicales, les choses vont à nouveau fort bien, selon les critères de réussite du business musical. Au début du mois d’octobre, le dernier album de Frei.Wild Les ennemis de tes ennemis (tout comme celui de 2010, Contrepoison ) arrivait en deuxième position dans les charts allemands. Tous les billets étaient déjà vendus avant le début de la tournée, alors qu’ils étaient programmés dans de grandes salles de concert (jusqu’à 15 000 personnes par concert à certains endroits). En première partie, une de leurs idoles (un ancien des Böhse Onkelz, Mathias « Gonzo » Röhr) était programmée. Il semblerait que l’idéologie Blut und Boden véhiculée par des chansons telles que « Wahre Werte » ne pose aucun problème, ni aux fans, ni à certains médias, et surtout pas à ceux qui font leur beurre avec le groupe. Depuis quelques temps, la discussion critique autour du groupe a repris, et elle est également présente dans les colonnes de la grande presse. En prime time, un journaliste d’investigation qui a pour habitude de travailler under cover (Thomas Kuban, auteur du livre et du documentaire éponyme « Le sang doit couler… » ) a évoqué sans hésiter la dernière tournée de Frei.Wild quand on l’a interrogé sur les concerts néonazis qui ont lieu actuellement. Pour lui, le groupe évolue dans la « mouvance classique du rock d’extrême droite ».

Frei.Wild a réagi promptement, avec le mordant qui caractérise le groupe depuis des années dès qu’il est exposé à la moindre critique : dans une déclaration filmée, le chanteur Philipp Burger s’est posé en victime de la « grande ligue anti-Frei.Wild » qui « salit » le groupe, à force de mensonges et de mauvaise foi. Dans une déclaration écrite, il accuse également Thomas Kuban de n’être « pas un vrai journaliste ». Dans les deux cas, Burger se cantonne à l’anathème, sans démontrer quoi que ce soit. Ce que Frei.Wild pense de ses détracteurs, on peut le lire dans plusieurs chansons : «  Je chie sur les bonnes âmes, sur les apôtres de la morale. Autoproclamés, politiquement corrects. […] Je les hais comme la peste. » À un autre endroit, des musiciens comme Die Erste, qui ont également pris des positions critiques à l’égard du groupe, sont visés : « Nous sommes comme des bombes lâchées sur vous ». Cela ne cadre guère avec une déclaration de Burger selon laquelle Frei.Wild ferait « des chansons qui sont à 100% des hymnes à la vie et à l’édification  ».

Restons critiques !

Pour finir, rappelons que Frei.Wild n’est pas un groupe de nazis, et qu’à de rares exceptions, il n’y a pas de nazis à leurs concerts car pour la grande majorité de ces derniers, soutenir concrètement Frei.Wild, c’est trop leur demander. Toutefois, et malgré toutes les tentatives de distanciation que mène le groupe, les acteurs de l’extrême droite radicale sont parfaitement conscients de la faculté que Frei.Wild possède d’agréger des gens à leur idéologie. En effet, les néonazis tout autant que la nouvelle droite se réjouissent du fait que Frei.Wild reste fidèle à leurs idées nationalistes völkisch , réactionnaires et anti-émancipatrices, et malgré cela (ou bien précisément à cause de cela) remporte des succès massifs. Voilà pourquoi les positionnements de fond de Frei.Wild restent et demeurent le véritable problème. Il est donc plus que jamais nécessaire de s’interroger de façon critique sur ce groupe et sur son implantation dans le rock mainstream .

D’après Monitor, n° 57, décembre 2012, lettre d’information de l’apabiz

traduction Tina