
Ce texte n’est pas exhaustif mais resserré : en tant que militant associatif et syndical je me contente de proposer des pistes de débats et de lutte pour contrer les arguments de la droite et de l’extrême droite, qui tendent à contaminer tout le champ politique.
Quel terrain de luttes / de convergences ?
Dans les années 1990 et au début des années 2000, les résistances aux politiques xénophobes se sont organisées dans les collectifs de luttes des sans papiers, autonomes et auto-organisés, et à côté, dans des groupes de soutien larges, des collectifs anti-expulsions à des franges syndicales (les syndicats étaient souvent divisés en interne, comme à la CGT).
Les années 2000 ont été celles des Réseaux Éducation Sans Frontières (RESF), centrés sur les résistances contre les expulsions dans les écoles : on note un recul objectif des luttes, faute d’énergie globale et collective (et non par la faute des militants RESF !). Globalement, l’immigré célibataire a été mis de côté, ou tout du moins a atterri dans les bras des services sociaux dans un traitement individualisé basé sur la gestion de la pénurie (avec des travailleurs sociaux qui résistent, et d’autres qui appliquent les directives, plus par découragement souvent que par zèle).
Les Centres d’accueil des demandeurs d’Asile (CADA) sont un point de rencontre des populations migrantes, et donc un « nexus » des problématiques. Gérant eux aussi la pénurie, c’est peut être aussi un terrain de lutte et d’échanges avec certains travailleurs sociaux parmi lesquels des personnes « résistent » tant bien que mal, à ne pas être cantonnés à des gestionnaires de la pénurie.
Le nouvel essor de la crise n’engendre pas pour l’instant celui de la croissance des collectifs de chômeurs et précaires, même si certains se redéploient par exemple dans des foyers sociaux / ruraux ou dans des UD syndicales qui se mettent à l’heure de la crise en s’ouvrant (mais ce dernier phénomène reste très minoritaire, malheureusement).
Les centres sociaux, foyers ruraux, centres culturels urbains peuvent également être ce terrain de rencontre et d’échange. Résistances administratives, débats, échanges. Que ce soit dans les campagnes ou quartiers HLM (les deux faces de la même pièce), ce sont ces foyers qui proposent des locaux mais qui ont aussi une certaine porosité loin de l’ambiance carcérale de certaines UD (on a l’impression de faire une visite en prison en allant dans certains locaux syndicaux, notamment avec les vigiles dans les grandes villes).
A mon avis, avec la raréfaction des moyens et de la notion de collectif durable, c’est bien dans ces structures que des graines de révoltes et de résistances peuvent pousser. En tout cas, ce sont des lieux de rencontre, l’élan de résistance, c’est à chacun de nous de le donner (et aussi collectivement) en dépassant la situation. En n’étant pas cloué au piloris des aides administratives individuelles mais en incitant à la formation de groupes auto-organisés.
La question des surnuméraires, liée à l’identité nationale
Avec ou sans papiers, une partie croissante de la population est exclue des droits sociaux, d’un revenu suffisant pour vivre également lorsque l’emploi salarié existe. Hausse du coût du logement, pression fiscale sur les bas salaires ou ressources (imposition partielle du RSA pour les taxes locales), nous connaissons tous cela.
Ainsi, et c’est nouveau dans les permanences associatives, mêmes des salariés se sentent complètement exclus du système économique, social et politique. Ils se sentent « inutiles », car le travail dans le cadre du capitalisme considère la majeure partie d’entre nous comme des pions jetables.
Objectivement, cette situation devrait entraîner une plus grande colère individuelle et collective, mais c’est l’abattement qui prévaut, plus que le fait de se lier à un collectif qui est long. On peut avoir l’impression que la plupart des personnes n’ont plus la force de s’investir durablement dans un collectif et par défaut « préfèrent » se retrouver dans la misère la plus noire. Il faut se sentir un minimum bien pour agir collectivement afin de donner une image de soi correcte ; seulement, pour se sentir mieux, il faut sortir de l’isolement et aller vers les collectifs. Bref, il faut se faire violence, il n’y a pas d’autres solutions.
Les surnuméraires sont plus nombreux que les « inclus » en Europe. C’est le fait nouveau des années 2010. C’est à dire que les personnes qui sont exclus des droits, des ressources, du « minimum pour vivre correctement », associés à ceux qui n’ont aucun rôle social et politique, sont plus nombreux que les couches des classes moyennes épargnées.
La colère ne doit pas se retourner contre les immigrés, proies faciles, encore plus fragilisées, mais contre le capitalisme et l’organisation des États autour de cette mondialisation des échanges financiers et productifs. En cela, le repli sur l’identité nationale n’est qu’un leurre, une coquille vide. Préférons-lui les identités collectives orientées vers la récupération du contrôle de nos vies !
Cela ne pourra passer qu’en investissant, qu’en envahissant des lieux publics et collectifs afin de décider d’une auto-organisation. L’État ne fait rien, l’État ne peut rien, c’est à nous de reprendre le contrôle. Avec les migrants qui ne font que préfigurer notre avenir à tous, si nous ne faisons rien.
Raph