Un article du site Zones Subversives-
Les actions des Gari secouent l’Espagne et la France en 1974. Cette guérilla urbaine vise à renverser le régime franquiste. Surtout, ces actions visent à soutenir les grèves ouvrières et à perturber le processus de transition démocratique orchestrée par la classe dirigeante en Espagne et en Europe.
En 1974, dans le contexte de l’Espagne franquiste, les GARI (Groupes d’action révolutionnaire internationaliste) luttent contre la dictature militaire. Ils s’inscrivent dans la filiation du MIL (Mouvement ibérique de libération) qui a été démantelé en 1973. Salvador Puig Antich, figure du MIL, est condamné à mort par le régime. Les GARI s’apparentent à une coordination d’anciens groupes de combat des années 1960, de jeunes Français et Espagnols anarcho-syndicalistes, autonomes et libertaires.
Contestation en 1974
En 1974, à Toulouse, le monde gauchiste semble s’effondrer. Les bastions sont abandonnés, à commencer par les bars et les lieux culturels. La Gauche Prolétarienne (GP) se dissout en appelant à la lutte à la base. Ce qui accélère sa décomposition. Certains militants gauchistes rallient les organisations institutionnelles. D’autres s’affairent à la construction de leur nouveau groupuscule.
En Catalogne, le dernier grand régime fasciste issu de la vague réactionnaire des années 1930 semble s’achever. Malgré les défaites, les morts, la torture et les arrestations, les militants anti-franquistes continuent de lutter pour abattre la dictature. En avril 1974, la révolution portugaise renverse le régime de Salazar. Les militants considèrent que le Sud européen est secoué par une ébullition révolutionnaire.
Néanmoins, la bourgeoisie prépare la transition démocratique. La violence, l’illégalité et l’action minoritaire de la résistance sont dénoncées. Des opposants socialistes et communistes rencontrent des anciens ministres de Franco. Dans ce contexte, le MIL décide de lancer une coordination de lutte armée pour frapper les intérêts européens complices de la dictature et de son recyclage. Néanmoins, il ne reste du MIL qu’une poignée d’activistes.
Les militants anarchistes qui ont participé à la révolution espagnole de 1936 semblent partagés. Certains anarcho-syndicalistes de la CNT ne jurent que par le développement de leur organisation dans la légalité. Ils insistent sur la propagande. D’autres anarchistes se méfient des tractations politiciennes qui préparent la transition démocratique. Les partis de gauche combattent moins le régime franquiste que les pratiques d’auto-organisation et les assemblées ouvrières. Cette analyse débouche vers le soutien aux actions armées des GARI pour imposer un courant libertaire qui ne refuse la résignation légaliste. Durant les années 1970, des groupes de lutte armée se développent en Europe. La RAF émerge en Allemagne tandis que les Brigades rouges se créent en Italie.
Lutte antifranquiste
En Espagne, le MIL ne se réduit pas à un banal antifranquisme. Le combat contre la dictature s’inscrit dans les luttes du mouvement ouvrier. « On considérait avec raison le fascisme comme une forme de gouvernement de la bourgeoisie, le meilleur qu’elle ait trouvé pour museler les intérêts historiques de notre classe sur ce territoire. On était fondamentalement des anticapitalistes révolutionnaires », précise Jann Marc Rouillan.
Une action à Bruxelles doit viser l’institution européenne. La transition démocratique doit se conformer au néolibéralisme et aux exigences imposées par l’Union européenne. Le groupe de Jann Marc Rouillan se rend donc à Bruxelles pour préparer une action. Cependant, un autre groupe des Gari décide d’agir à Paris pour enlever le PDG de la Banque de Bilbao. Les amis de Jann Marc Rouillan apprennent cette action à la radio. Malgré la prétention libertaire des Gari, une minorité planifie des actions en secret, sans décision collective de l’ensemble du groupe.
Ensuite, le communiqué des Gari revendique cette action uniquement au nom de l’opposition au régime franquiste après l’exécution de Puig Antich. En revanche, la préparation de la transition démocratique et le rôle de la bourgeoisie ne sont pas évoqués. De plus, ce communiqué des Gari se revendique d’une posture anarcho-syndicaliste. Au contraire, les Gari ont toujours soutenu les comités de base et les assemblées révolutionnaires contre toute forme de syndicalisme.
Le banquier est libéré contre une rançon. Cependant cette branche parisienne des Gari est rapidement arrêtée. La police se contente de suivre l’argent de la rançon pour retrouver les coupables. Le Ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski, relayé par les médias, annonce fièrement le « démantèlement des Gari ». Pour riposter et continuer de faire exister les Gari, le groupe de Jann Marc Rouillan lance une attaque à la voiture piégée à Bruxelles. Le retentissement de cette action se révèle percutant. La monarchie belge est directement attaquée. « De Paris, les fausses alertes se multipliaient. Les bâtiments étaient vidés. Les avions détournés », décrit Jann Marc Rouillan.
Multiplications d’action
Le groupe de Jann Marc Rouillan revient à Toulouse. La base opérationnelle est située dans le quartier du Mirail. Le groupe multiplie les braquages de banques et de postes. Le 9 juillet 1974, Franco doit abandonner le pouvoir en raison de problèmes de santé. La bourgeoisie redoute une insurrection comme au Portugal. Les Gari s’inscrivent dans une perspective révolutionnaire et soutiennent les comités de base et les assemblées ouvrières. « Notre guérilla se définissait comme une partie du mouvement révolutionnaire, et comme telle, elle n’avait pas d’autres objectifs que ceux du mouvement », précise Jann Marc Rouillan. Au contraire, les groupuscules maoïstes et trotskistes privilégient une alliance avec la gauche institutionnelle pour réclamer le retour de la démocratie.
Les Gari lancent une campagne d’attentats et de sabotages pour impulser la résistance. Des bombes sont placées dans des bâtiments gouvernementaux. Des coupures de courant permettent de bloquer des usines et des ateliers. Ce qui peut permettre aux ouvriers de s’organiser pour continuer cette paralysie de leur lieu de travail. « Que notre action puisse être un prétexte à parler de la résistance et de la nécessité de combattre la dictature. Dans la grande tradition des guérilleros ibériques, on a choisi ce moyen pour faire entendre la voix de la véritable opposition », indique Jann Marc Rouillan.
Des actions pour perturber le mythique Tour de France donnent un écho médiatique retentissant à la résistance antifranquiste. Au même moment, des attentats sont organisés à Paris et au Pays-Basque. Des bus de pèlerins venus à Lourdes sont incendiés. Le régime franquiste vacille et semble vouloir libérer des prisonniers pour faire cesser les attentats. Les Gari adoptent les méthodes de la RAF.
Le groupe armé s’auto-organise et décide seul des actions à mener, sans subir la tutelle d’une direction politique. « La direction basée sur la démocratie directe appartient à ceux qui luttent. Il n’y a pas de parti dirigeant le bras armé, ni de chefs occultes bien planqués ou réfugiés à l’étranger et donnant des ordres d’action ou de dissolution », décrit Jann Marc Rouillan. Les différents groupes des Gari décident de mener une nouvelle vague d’actions avant de se déliter.
Lutte autonome
Le témoignage de Jann Marc Rouillan permet de faire revivre le contexte bouillonnant de 1974 et les diverses actions des Gari. Son livre revient sur la période de la transition démocratique en Espagne et sur son contexte historique. Il évoque les débats qui traversent la gauche et le mouvement libertaire. Jann Marc Rouillan propose un regard subjectif et livre son propre regard sur l’aventure des Gari. Il est possible de pointer le manque de recul et une forme d’héroïsation qui tranche avec le regard plus ironique d’un Floréal Cuadrado. L’auto-dérision n’est pas la qualité première de Jann Marc Rouillan.
Le militant vise à défendre la stratégie des Gari, et de son groupe en particulier. Il insiste sur l’importance de la diversité des tactiques. Il raille les bureaucrates de la CNT attachés à limiter l’autonomie des petits groupes qui risquent d’entacher leur quête de respectabilité. Il est possible de rejoindre les Gari sur cet aspect. Chaque groupe peut agir de manière autonome sans se référer à un comité central. En revanche, la lutte armée peut également dériver vers une forme d’avant-gardisme. Elle peut déboucher vers l’héroïsation de ceux qui prennent des risques. Surtout, cette stratégie repose sur des actions ciblées menées par une poignée de militants plutôt que sur un mouvement de l’ensemble des exploités.
Néanmoins, Jann Marc Rouillan souligne à plusieurs reprises l’importance des assemblées ouvrières. Les Gari s’inscrivent dans cette résurgence du mouvement autonome en Espagne. Les Gari ne sont pas des militants isolés. Leurs actions visent à soutenir les luttes et les grèves dans les entreprises, même si leurs cibles attaquent plus directement le régime franquiste. Jann Marc Rouillan insiste sur cet aspect. Les Gari ne se réduisent pas à un vulgaire groupe antifasciste. Ils soutiennent les luttes ouvrières et critiquent la transition démocratique orchestrée par la bourgeoisie et les partis de gauche. Les Gari ne veulent pas uniquement achever la dictature, mais aussi ouvrir une perspective de rupture avec le capitalisme.
En revanche, il semble important d’insister sur le rôle moteur des assemblées ouvrières qui émergent pendant ce contexte. Les travailleurs s’organisent en dehors des partis et des syndicats pour lancer des grèves et impulser des pratiques d’auto-organisation. Le témoignage centré sur les Gari peut éluder cette dynamique motrice. Les luttes dans les entreprises vont d’ailleurs perdurer et menacer sérieusement les projets de la bourgeoisie alors que les Gari ont déjà disparu. Le choix de la lutte armée et de la clandestinité demeure respectable. Néanmoins, l’entre soi militant semble moins percutant que des ouvriers qui se politisent au cœur de la lutte. Toutefois, comme Jann Marc Rouillan le souligne, c’est bien la diversité des tactiques et des pratiques de lutte qui fait la force de ce mouvement autonome.
Jann Marc Rouillan
La trajectoire politique de Jann Marc Rouillan passe par plusieurs organisations. Du mouvement autonome jusqu’au Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Il agit selon l’évolution du contexte social et politique. Ce militant a longtemps connu la prison et reste une figure emblématique du groupe Action Directe. Jann Marc Rouillan rédige son témoignage sur les GARI alors qu’il est encore incarcéré.
Ce texte est publié avec le livre De mémoire 3. La courte saison des GARI : Toulouse 1974.