États-UnisComment répondre aux menaces de Donald Trump sur le mouvement antifasciste

Alors que Donald Trump a annoncé sur son réseau social que le mouvement "antifa" était désormais considéré comme "organisation terroriste", nous vous proposons une traduction du texte « Make Ready : Safeguarding Our Movements against Repression – How to Respond to Donald Trump’s Threats, publié le 18 septembre sur le site Crimethinc.com, qui met en contexte cette déclaration, et donne ensuite quelques conseils pour ne pas céder à la panique. Alors que Marine Le Pen, en 2017, demandait déjà la dissolution de toutes les "milices antifas", et que l’arrivée au pouvoir du RN n’est plus une chimère, ce texte, s’il est ancré dans la réalité américaine, est aussi riche d’enseignements pour nous.

Le 17 septembre, dans un post publié sur Truth Social, Donald Trump a déclaré qu’il allait désigner « Antifa » comme « une organisation terroriste majeure ». Qu’est-ce que cela signifie ? Comment pouvons-nous nous préparer à affronter la tempête ?

Il est toujours difficile de savoir à quel point il faut prendre au sérieux les déclarations performatives de Trump. Il fait souvent des déclarations délirantes pour tester leur impact sur son public : il lance des idées en l’air pour voir ce qui fait mouche, et ensuite il s’acharne là où il n’y a pas de réaction en retour.
Mais cette fois, son administration suit à la lettre le manuel classique du fascisme. Un de ses partisans est même allé jusqu’à déclarer, sans ironie, que l’assassinat de Charlie Kirk était « l’incendie du Reichstag américain ».
L’étape suivante de ce manuel est évidente : élargir ses cibles, allant des immigré·es jusqu’aux anarchistes, aux gauchistes, et s’étendant au bout du compte à tous les opposant·es au régime.
Alors oui, par le passé, Trump a déjà fait des déclarations dans lesquelles il désignait « Antifa » comme une « organisation terroriste », notamment au début de la révolte qui a fait suite au meurtre de George Floyd.
Mais à l’époque, le reste du gouvernement fédéral jouait en grande partie un rôle de frein à son impulsivité [1] alors qu’aujourd’hui, l’ensemble de l’exécutif fédéral est composé de serviteurs zélés qui sont incapables de distinguer leurs propres intérêts de ceux de Trump.
Certes, aucune loi ne permet au président de désigner des organisations terroristes intérieures. Mais même sans nouvelle législation ou nouveau décret, Trump a un contrôle direct sur le ministère de la Justice, le ministère de la Sécurité intérieure, le FBI et d’autres agences fédérales. Ce qu’il publie sur les réseaux sociaux indique probablement ce qu’il ordonnera bientôt à ses subordonnés.
Le fait que « Antifa » ne désigne pas une organisation en soi, mais plutôt une catégorie floue qui peut inclure à peu près n’importe quel opposition à son programme autoritaire, cela en fait un terme très pratique pour Trump [2]. Cela signifie que peu importe qui vous êtes ou ce que vous faites, vous aussi pourriez devenir une cible.

Si aucune désignation d’« organisation terroriste intérieure » n’existe actuellement (et il n’existe aucun mécanisme évident pour en créer une), les procureurs d’extrême droite ont déjà l’habitude de porter des accusations infondées de terrorisme, pour intimider les militant·es et les participant·es aux mouvements sociaux. Trump a explicitement appelé à l’utilisation de la loi RICO [3] pour réprimer ses détracteurs et détractrices. Certains sénateurs républicains soutiennent déjà un projet de loi qui ajouterait les émeutes à la liste des infractions poursuivies sous la loi RICO.
Il y a des précédents à ce qui pourraient se passer : ainsi, il y a deux ans, un grand nombre de personnes à Atlanta (Géorgie) ont été accusées au hasard sous la loi RICO pour leur implication dans le mouvement Stop Cop City.

Les procès ont été reportés sans cesse, et il y a moins d’une semaine, un juge a finalement rejeté la majorité des charges pour vice de procédure [4]
Il reste à savoir dans quelle mesure l’administration mettra réellement à exécution les menaces de Trump, et si elle commencera par s’attaquer à des groupes de base ou agira de manière descendante, en ciblant de grandes institutions libérales et des plateformes de financement.
Dans tous les cas, notre avenir à long terme dépendra de notre capacité à permettre à un grand nombre de personnes d’agir solidairement, en adoptant des formes d’action directe à la base, qui peuvent être efficaces même si les personnes au pouvoir refusent d’écouter.

C’est pourquoi chacun devrait consulter les suggestions ci-dessous, que vous pensiez ou non qu’elles vous concernent directement. Plutôt que de céder à la panique, il s’agit de se préparer concrètement afin d’aborder cette situation calmement et efficacement.

Ne pas se laisser intimider
Garder le moral est essentiel à la résistance. Ne nous rendons pas sans lutter ! Nos adversaires veulent nous soumettre par la peur, car ils savent qu’ils ne peuvent pas nous vaincre par la seule force brute. N’oubliez pas que la gestion des perceptions est au cœur du projet fasciste : ils cherchent à projeter leur force en permanence, précisément parce qu’ils ne sont pas invincibles. Même lorsque la situation semble désespérée, gardez espoir et continuez le combat ! Le défaitisme ne sert que l’ennemi.

Plusieurs exemples récents montrent qu’un mouvement déterminé peut vaincre la répression. Ainsi, le 20 janvier 2017, quelques heures après l’investiture de Trump, des centaines de personnes ont été arrêtées et chargé·es de huit chefs d’inculpation chacun·e (dont deux qui n’existaient même pas dans la loi). Plutôt que de plaider coupable ou de se battre individuellement, près de 200 personnes ont choisi de se défendre collectivement. Après un an et demi, toutes les charges ont été abandonnées. L’affaire RICO de Stop Cop City a échoué jusqu’à présent pour les mêmes raisons, car ces affaires reposent souvent sur la capacité à effrayer certains accusé·es pour les pousser à coopérer. Si les accusé·es forment un front uni et sont soutenu·es avec force, les principaux atouts de l’État s’évanouissent. La solidarité, c’est le pouvoir !

Misez sur vos points forts
Trump dirige des institutions centralisées, hiérarchiques, figées et axées sur le profit. Il préfèrerait affronter un adversaire qui leur ressemble. Or, à l’opposé, nos mouvements sont pour une très large part horizontaux, décentralisés, sans hiérarchie officielle ni dépendance financière. C’est une bonne chose, car cela rend moins crédibles les fables inventées par les procureurs, et les autorités ne savent pas qui cibler : si elles doivent se concentrer sur la population toute entière, si la résistance peut surgir de toutes parts, elles ne pourront pas concentrer leurs forces. Les autocrates de tout poil ne sont pas en mesure de réprimer toutes celles et tous ceux qui s’opposent au fascisme. Le 14 juin 2025, ce sont plus de 5 millions de personnes qui sont descendues dans la rue lors de la manifestation « No King » pour défier Trump. La sécurité ne viendra pas de la clandestinité, mais bien de la diffusion massive de nos tactiques, au sein d’un élan de résistance le plus large possible.

Toutes celles et tous ceux qui s’opposent au fascisme sont antifascistes. En cherchant à cibler tous ceux qui s’opposent au fascisme, Trump ne peut pas digérer ce qu’il tente d’avaler, à condition de ne pas le laisser faire.

Préparez-vous à des perquisitions
Apprenez quoi faire en cas de visite de la police ou d’agents fédéraux, que ce soit pour une demande d’information, une assignation à comparaître, ou une perquisition. Sauvegardez vos données informatiques et stockez-les en lieu sûr. Retirez de chez vous tout ce qui pourrait être compromettant entre de mauvaises mains. Mettez vous en lien dès maintenant avec un·e avocat·e.
Si une perquisition a lieu chez quelqu’un d’autre, filmez-la : plus l’attention sera portée sur chaque attaque de l’État, plus il y aura de monde en sécurité.

Informez vos ami·es à l’avance de la manière dont ils peuvent vous soutenir en cas de perquisition ou d’arrestation, qu’il s’agisse de nourrir votre chat, de vous occuper de vos enfants ou de contacter votre employeur ou des membres de votre famille. Faites connaître vos intentions à l’avance : par exemple, si vous êtes arrêté·e, préférez-vous être libéré·e sous caution immédiatement ou attendre de voir si votre caution est réduite ? Plus vous préciserez ce que vous souhaitez à l’avance, mieux ce sera. Dans le pire des cas, vous éviterez que des branches rivales de votre comité de soutien se disputent vos préférences sans pouvoir les trancher.

Soyez transparent·e face à la répression
Si vous êtes ciblé·e par la répression, parlez-en ouvertement. Leur objectif est de vous isoler et de vous rendre paranoïaque. Si vous êtes déjà dans leur collimateur, vous n’avez aucun intérêt à essayer de cacher qu’ils vous ciblent. Ne leur facilitez pas la tâche, ne vous rendez pas inutilement facile à repérer, mais renforcez vos relations publiques. Si des agents fédéraux vous rendent visite ou vous assignent à comparaître, le meilleur moyen d’obtenir le soutien nécessaire et de conserver la confiance de votre communauté est de refuser de coopérer, de documenter toutes les rencontres et de les rendre publiques afin que tout le monde soit au courant.

Ne soyez pas irremplaçable
Si vous participez à un projet formel ou informel, assurez-vous que les autres sachent comment faire la même chose que vous. Cela vaut pour vous, individuellement, comme pour tous les groupes auxquels vous participez. Diffusez vos compétences et vos connaissances à grande échelle. Faites une copie de la clé de la librairie, partagez les identifiants de votre compte de réseau social avec une personne de confiance, aidez les autres à organiser une distribution alimentaire ou fournir une aide juridique… Faciliter la tâche des autres pour vous remplacer peut diminuer le risque d’être ciblé·e.

De même, diffusez au plus grand nombre les informations sur la lutte contre la répression : organisez des formations dans votre communauté sur la sécurité et distribuez des documents à ce sujet. Expliquez aux gens comment réagir si des agents de l’État les poussent à devenir des informateurs ou les assignent à comparaître devant un grand jury. Plus les gens sont informés, mieux c’est, car les agents fédéraux commencent parfois par exercer des pressions sur celles et ceux qu’ils perçoivent comme étant en marge des mouvements sociaux.

Organisez un soutien collectif
Tendez la main à celles et ceux qui sont dans la même situation : par exemple, si vous gérez une librairie ou un groupe étudiant, vous pouvez créer un réseau de projets similaires afin que chacun·e puisse agir dès que l’un·e d’entre vous est ciblé·e par la répression. Réfléchissez aux moyens de pression que vous pouvez utiliser pour vous assurer que toute attaque contre vous va mobiliser les gens au lieu de les intimider.
Préparez une liste de contacts et une liste de réponses adaptées à différents scénarios. Distribuez des copies de ces documents aux camarades sur lesquels vous pouvez compter pour vous soutenir en cas de répression, afin que, dès qu’un incident se produit, chacun·e soit informé·e et sache quoi faire. Exemple de message : « Si nous sommes arrêtés et non libérés immédiatement, [nom du groupe] tiendra une conférence de presse le lendemain, [nom de la personne] mènera une campagne de communication en ligne et [une autre personne] organisera une collecte de fonds. »

Discréditer la police et les tribunaux
Alors que Donald Trump et ses hommes de main cherchent à plier le système juridique à leur volonté et à le contourner carrément quand ce n’est pas possible, cela comporte certains inconvénients, car cela délégitime les institutions desquelles ils dépendent malgré tout. De manière encourageante, plusieurs grands jurys ont refusé d’inculper des personnes accusées par les procureurs à la solde de Donald Trump. Nous devrions populariser la tactique de l’annulation du jury comme un moyen par lequel les jurés ordinaires peuvent gripper les engrenages de la répression fédérale. Dans la mesure du possible, nous devrions éroder la foi aveugle du public dans les institutions que Trump utilise pour mener ses actions répressives.

Malgré les fausses promesses des politiciens libéraux, la vague d’élan vers le définancement de la police qui a culminé en 2020 n’a pas assuré de changements majeurs dans la législation ou les budgets ; le seul effet durable du mouvement a été que, grâce à l’action populaire, de nombreuses personnes ont été contraintes de quitter les forces de police. Aujourd’hui, exercer une pression continue de basse intensité contre l’administration Trump et ses laquais diminuera le nombre de personnes qui sont prêtes à servir Trump en tant que traîtres à leurs communautés, que ce soit en tant qu’agents de l’ICE ou à un autre titre.

Fracturer la classe politique
Nous avons besoin d’une stratégie pour obliger les politicien·nes de « l’opposition » à entraver réellement l’État policier plutôt que de simplement se tenir à distance. Sans pression, la plupart des politicien·nes vont simplement cultiver leur image plutôt que d’aider celles et ceux qui sont attaqué·es. Leur image dépend de la façon dont est perçue leur opposition à Trump : cela peut offrir des points d’appui pour les pousser à prendre position.
Identifiez chaque institution, groupe et individu influent auquel vous avez accès et qui n’est pas inextricablement investi dans la montée du fascisme. Voyez de quels moyens vous disposez pour faire pression sur chacun d’eux. Avec certain·es, une conversation suffira ; avec d’autres, cela pourra nécessiter d’autres moyens. Fixer des objectifs concrets : dissuader les demandeurs d’emploi de travailler pour l’ICE, obtenir de personnalités influentes qu’elles fassent des déclarations de solidarité ou contraindre des politiciens locaux à demander à la police de ne pas coopérer avec les opérations fédérales. L’État policier exige le bon fonctionnement de l’ensemble de l’appareil de pouvoir ; cela le rend vulnérable à de multiples niveaux.
Les libéraux qui ont contribué à créer une fracture entre Trump et Elon Musk simplement en tenant des pancartes chez les concessionnaires Tesla ont démontré comment diviser l’alliance qui soutient Trump. Cela devrait être reproduit encore et encore, en ciblant en particulier celles et ceux qui sont impliqué·es à la marge, plutôt que celles et ceux qui sont plus profondément engagé·es dans son projet autoritaire. Il faut saper les piliers de sa structure de soutien un par un.

Les États-Unis sont polarisés et divisés, tant au niveau régional que local. Si les communautés, les villes ou des régions entières peuvent éventuellement se mettre concrètement hors de portée de la répression fédérale, un modèle de véritable résistance émergera.

Passer à l’offensive
Aux échecs, avec un jeu purement défensif, vous perdrez la partie. Pour faire face à la prise de pouvoir de Trump, nous avons besoin de stratégies proactives. Plutôt que de simplement réagir encore et encore, nous devons choisir l’heure et le lieu des conflits ; cela peut être un moyen de bloquer les ressources et les cycles de travail qui seraient autrement dirigés contre nous.

Les politiques oligarchiques de Trump appauvrissent des millions de personnes à travers le monde. Nous devons montrer comment répondre aux besoins urgents qu’il crée, en véhiculant une vision révolutionnaire de changement social. La meilleure défense, c’est l’attaque !

Refuser la division
Lorsque la répression réussit, son effet le plus dommageable n’est pas son impact immédiat, mais les lignes de fracture qu’elle ouvre. L’objectif principal de Trump est de nous faire douter de nous-mêmes, et de nous monter les un·es contre les autres. Résoudre les malentendus et les conflits est un élément fondamental de la résistance.
Présentez des critiques de bonne foi, en ouvrant la porte à celles et ceux qui sont actuellement vos rivales et rivaux pour qu’iels deviennent éventuellement des allié·es, à condition qu’iels apprennent à se comporter de manière responsable. Ceux qui répandent la division et entretiennent des relations toxiques font le travail de l’État.

Source: Crimethinc.

Notes

[1Par exemple, le tweet de Trump à la fin du mois de mai 2020 a été suivi d’une déclaration similaire du procureur général William Barr, qui s’était déjà plaint publiquement de Trump et avait été contraint de démissionner quelques mois plus tard. Le directeur du FBI à l’époque, Christopher Wray, a reconnu lors d’une audition que « antifa » est une idéologie, pas une organisation.

[2À noter qu’en Italie, les procureurs ont souvent traité des mouvements flous tels qu’Autonomia Operaia comme s’il s’agissait d’organisations formelles, et ont fabriqué de toutes pièces des organisations imaginaires là où il n’en existait pas, comme dans le cas de l’« Organisation révolutionnaire anarchiste insurrectionnelle ».

[3NdT : le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act est une loi fédérale américaine qui concerne les activités d’une organisation criminelle.

[4Sous Donald Trump, de nombreuses agences fédérales sont désorganisées, ce qui expliquent les accusations RICO de manière chaotique en Géorgie il y a deux ans. Si l’évolution de l’affaire RICO liée au mouvement Stop Cop City peut servir d’indication sur la manière dont d’autres persécutions via la loi RICO contre des activistes pourraient se dérouler, la principale menace n’est peut-être pas que la répression voulue par Trump envoie des gens en prison, mais plutôt que ces accusations découragent et paralysent les personnes visées, créant ainsi les conditions pour que son administration remplace cette forme de répression par quelque chose de pire.